Une problématique moderne bien que maintes fois usités, en art (et dans bien autres domaines d'ailleurs), l'opposition de la tradition à la modernité. L'une serait un bien et l'autre un mal. Porte ouverte à la subjectivité et aux passions, il ne semble pour autant ne pas avoir d'histoire (de l'art) sans cette tension. C'est en rapport avec les anciens, que l'artiste se tourne vers la modernité, un incessant jeu entre une acquisition et un rejet, la recherche de fondement et une crise des valeurs. Donc, plutôt que de parler d'opposition, de couple antithétique parlons plutôt d'une rencontre, le moment où l'oeuvre dépasse le simple artefact, le lieu même de la création. Nombreux artistes se sont attelés à refaire vivre au sein même de leur travail cet entre-deux de façon explicite usant de références et autres citations : l'Histoire, les Grands Maîtres, comme tout autant d'hommage mais aussi de garde-fou.

Cet entre deux, lieu de réconciliation entre la modernité et la tradition est-il vécu comme un symptôme, celui du four-tout conceptuel de la post-modernité ou le désenchantement de la modernité ?

Regarder en arrière sans s'y arrêter ; Accepter l'Histoire pour mieux la comprendre et la dépasser, Mircea Cantor parle de dialectique en regard de son travail, son oeuvre comme espace de la réconciliation des contraires, de la rencontre entre modernité et tradition. L'artiste est roumain de naissance, et ce choix conceptuel est indissociable avec cette origine. Occidentaux que nous sommes, l'Histoire est une notion ancienne, au pire une matière à enseigner au mieux un « devoir de mémoire ». Les traditions « se perdent », et lorsqu'elles ressurgissent, elles ont des accents totalitaires... La Roumanie quant à elle est plongée dans son historicité. A cheval entre folklore et rébellion ultra libérale, entre les fossiles communistes présents encore au sein même du pouvoir et les mains tendues aux américains, la Roumanie s'enrichit de cette tension ou du moins elle en joue. L'artiste nous présente un bel étrange portail de bois recouvert de feuilles d'or. Le bois est au fondement de toutes constructions traditionnelles notamment pour la région au nord de la Transylvanie, le Maramures. Territoire recouvert de forêts, les seules architectures religieuses tolérées par les grandes puissances catholiques au 17ème siècle dans cette région hautement orthodoxe sont celles réalisées en bois. Il se joue donc ici un drôle de lien entre le bois et le sacré, fruit des interactions entre traditions religieuses orthodoxes et influences gothiques. Les grands portails, ornant fièrement les habitations rurales, réinterprètes encore aujourd'hui cette tradition du bois et du sacré et y intégrant des éléments profanes. L'arbre de vie, thème récurant dans ces portails roumains, est dans cette oeuvre de Mircea Cantor remplacé/actualisé en la double hélice (la forme de l'ADN, comme un escalier en spirale ou une échelle entortillée). L'or tout comme dans la tradition orthodoxe, recouvre cette intrusion excessivement moderne d'une pellicule immaculée. Le portail planté dans la Nef du Grand Palais, à la vertical, soutenu que par lui même et dont la fonction initiale semble à présent bien lointaine, est-il encore sacré ? Qu'est-ce qu'un portail qui n'ouvre et ne referme sur rien ? L'artiste n'a t-il pas voulu ici donner au spectateur un espace privilégié, cet « entre deux », un espace-temps en suspension entre la plus actuelle modernité et les traditions les plus reculées? Au-delà de toutes analyses c'est un regard, un passage qui hante, qui semble interroger le spectateur mais qui de fait le traverse, s’en éloigne. Les discours formels, les intentions bien pensantes sont superficielles, elles ne peuvent troubler l’atmosphère particulière de cet entre-deux. Elle fait taire les discours et retranche le spectateur et la tradition derrière ses fondations. C’est peut être pour Mircea Cantor le bruit de l’histoire et de son histoire qui se tait.