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Mélancholia ne vous déchire pas le cœur mais le foie. Notre petite planète de chiffon bleu pulvérisée par une plus grande en carton-pâte, rivées l'une à l'autre par un lien mystérieusement indissoluble. Tout comme Tristan à Yseult, la planète Terre est liée à Mélancholia d’un amour involontaire et forcement tragique. Le prologue n’ouvre pas il annonce. Il est l’oracle du film, le visionnaire goinfré d’images de biles noires. Alors que le destin est céleste, les corps des héros s’alourdissent, s’enfoncent dans la terre, sous leurs pieds le sol se dérobe. Le prologue de Mélancholia est excessif. Lars Von Trier se joue de nous : comment ne pas résister à Wagner (rien que ça !), aux sublimes plans fixes « bruegheliens » ? C’est beau jusqu’à la nausée. Je commence à me tordre. Première partie, le mariage de Justine. Je retrouve mes repères : la caméra légère, nerveuse qui refuse toutes stylisations autre que celle de mettre l’acteur au centre du jeu, sa chaire, son mouvement. Kristen Dust, Justine, m’apparait d’abord comme une figure connue : la femme sacrificielle, qui respire trop, en crescendo. Or, si Lars Von Trier dépeint avec sa joie cynique habituelle les mœurs de nos contemporains, Justine est la Cassandre de ce premier tableau, l’ombre noire qui en grignote la lumière. Claire (Charlotte Gainsbourg - la sœur) et Jean (Kiefer Sutherland - le beau-frère) mettent tout en œuvre pour maintenir l’ordre des choses. Ils sont et seront du côté de l’Etre avec en face, le vieux père, garnement satellitaire, et une mère asséchée, Charlotte Rampling ne désirant (plus) rien. Autour d’eux le monde tourne et les murs et décorums du château ne semblent pas être assez robustes pour les protéger d’une sublime et sexuelle nature qui au fur et à mesure du film les pénètre. Justine est malade, le mariage ne suffit pas à la lier à la terre, et, à la fin de cette première donne, les vivants ont déjà perdu, les anges attendent la fin du monde. Dans la célèbre gravure de Dürer, Mélancholia, on peut voir au dernier plan dans le ciel, l’aveuglante lumière de l’Apocalypse s’approchant de l’ange, empreint de mélancolie, avec à ses pieds la totalité des savoirs humains. Ne peut-on pas dès lors comprendre la mélancolie comme un impossible mariage entre l’horizontalité de la terre et des vivants et la verticalité céleste ? Mélancholia n’est pas un film cynique. Je veux partir. Le tableau se resserre sur les deux sœurs et un enfant, même lieu, même décor, nous allons assister à leur fin du monde. Ici pas de happy end, aucune possibilité d’échapper au fatum annoncé par Justine, ils vont mourir et nous en serons les spectateurs. Lars Von Trier réussit selon moi une rare prouesse au cinéma, il débarrasse le spectateur du plaisir, de l’abandon de soi et de l’oubli de son corps. Maintenant la caméra est fixe et l’on goute aux plans larges sur cette nature préraphaélite. Si notre estomac pouvait être secoué dans la première partie par la caméra à l’épaule, nous allons maintenant étouffer.